“Douce France”, comédie sur l’Élysée par un trou de serrure
Comment devient-on Président de la République ? Comment fonctionne cette Cinquième République qui donne tant de pouvoir au président, censé être contrebalancé par la chambre des députés selon un équilibre tempéré et stable ? Stéphane Olivié Bisson et David Salles ont ensemble composé une saga satirique qui, par le biais de deux conseillers pas si loufoques, passe au laser de leur foudre comique les huit gouvernements successifs depuis Charles de Gaulle. C’est drôle, étonnant, édifiant, et d’une vérité sans appel.
L’État, c’est nous
Ça commence par une visite de l’Élysée durant les journées du patrimoine. Evelyne, Delphine Baril, brushing blond platine et tailleur rose bonbon, se fait un plaisir de nous décrire le décor intime du pouvoir, feuilles d’or du mobilier Louis XIV et moulures des plafonds, pendules Napoléon et tapis d’époque. Raffinée et salace, la coquine hôtesse nous informe en maudissant ceux “mettent trop les mains” que le “Château” comme on le nomme dans les hautes sphères du pouvoir est un endroit hanté. Mariages, assassinats, suicides, trahisons et maladies mentales s’y sont succédés à tel point qu’on l’appelle “La maison du malheur” et qu’un président sur deux n’est pas parvenu au bout de son mandat. Justement, apparaissent deux conseillers aussi inaltérables que le pouvoir de la Cinquième République en France, Pierre-Marie Joseph et Capucin, campés par les deux acteurs de la pièce, David Salles et Stéphane Olivié Bisson. Nous sommes en 1966, Luis Mariano chante Quand elle danse alors que Georges Brassens, pacifiste anti-clérical, est interdit à la radio. Et Charles de Gaulle, qu’on voit posant dans un costume à la rigidité militaire pour la photo nationale, s’affiche dans le cadre de la scène.
Bardot, Cohn-Bendit, Foccart et la Françafrique
L’intelligence de ce spectacle, longuement mûri et nourri de recherches historiques et médiatiques, est de nous proposer un voyage, en chansons et en films d’actualités, par le prisme même de l’outil du pouvoir suprême qui ressemble étrangement à une monarchie. On s’amuse de voir que Charle de Gaulle vieillissant, était en complet décalage avec la jeunesse des années 68 grâce à des archives hilarantes le montrant d’un calme olympien quand les pavés du Boulevard Saint-Michel volaient et que les voitures flambaient. Mais ce que l’on découvre surtout c’est l’extrême solitude de ces chefs isolés par des dizaines de conseillers et des centaines de téléphones et de bureaux qui fonctionnent comme des tampons assourdissants ou des caisses de résonance. Pompidou fuyant Paris vers ses bestiaires animaliers, Giscard D’Estaing, un autre premier en tout, vers ses chasses à courre et les diamants africains de Bokassa, tout en faisant voter la loi sur l’IVG avec Simone Veil.
Références et calembours
Bourré de références et de faits historiques, le texte s’amuse par le biais de ces deux conseillers qui traversent les décades avec de nouveaux téléphones et de nouveaux costumes, à mettre en boite le réel pour en isoler les stigmates du ridicule. Ridicule de la pompe, pouvoir égocentrique et solitaire, décalage avec la population, secrets et trahisons obligées, paranoïa, espionnage et dépression. Conseillers, assistants, sont les secrétaires de l’administratif et de l’intime qui mettent à distance les affects et multiplient les informations de manière exponentielle avec le développement du numérique. Comme un feuilleton qui va à toute allure, les acteurs enchaînent avec brio dialogues et situations cocasses qui grossissent le trait. On ne s’ennuie pas un instant, on est déjà dans le bureau d’Emmanuel Macron quand la communicante de l’Élysée nous déconseille les masques l’usage des masques en plein Covid. Mais cela c’est déjà de l’histoire ancienne.
Hélène Kuttner
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